Convoyage retour
Après plusieurs mois passés à travailler, écrire et vivre pour la course, la plus belle des manières de boucler cette expérience de vie qu’à été la Volvo Ocean Race, était d’embarquer sur l’un des Volvo Ocean 65, pour le convoyage retour entre La Haye et Lisbonne.

Un matin de mai, lors du stopover de Newport j’aborde Liz Wardley sur le ponton pour lui demander si elle accepterait que je fasse partie de son équipage pour prendre part à cette ultime navigation vers la capitale portugaise.
À ce moment là, nos relations avec la plupart des marins sont devenues plus que bon enfant, et auraient presque tendance à nous faire oublier que tous sont d’immenses athlètes, parmi les meilleurs de la planète. La banalité des échanges qu’on peut avoir avec eux a finalement lentement anesthésié cette admiration pourtant bien réelle que génèrent en nous ces femmes et hommes d’exception.
La réponse de Liz ? “OK pour moi, envoie moi un email pour me le rappeler, et je te mets sur la liste d’équipage !” C’est fait. Détail vite réglé pour elle. Rêve de gosse pour moi, suivi d’une gentille piqûre qui va lentement me rappeler la séparation qui existe entre nos deux mondes.
Lorsqu’il fait référence à la liberté, voici ce que Travis Rice - l’un des meilleurs snowboarders free-ride au monde, fan de la Volvo Ocean Race et venu à Cardiff pour vivre en immersion avec l’équipe de Dongfeng Race Team - affirme.
Je pense qu’il y a une idée fausse à propos du terme liberté. Beaucoup de gens pensent que c’est lié au fait d’aller quelque part où il n’y a pas de règles, pas de responsabilités. Je pense que l’inverse est vrai. Tant que tu n'as pas acquis une totale responsabilité, la vraie liberté n'entre pas en jeu. C’est pourquoi j’ai tant de respect pour ce que ces équipages de course au large réalisent.
Et ce qui est vrai pour les uns, l’est également pour cet aventurier des sommets les plus reculés et inhospitaliers de la planète. “Prenons l’exemple d’un ride au milieu de l’Alaska, il ne s’agit pas de se pointer là-bas et de descendre la pente. Il y a une immense progression avant d’y arriver, étape par étape, tu dois investir de ta personne. Si je compare cela avec des surfs sur la houle du grand sud au portant à plus de 30 noeuds, je pense que c’est la même chose. Les marins savent que cela est possible, et qu’ils peuvent le faire, mais tu n’y vas pas comme ça. Ce sont des années de préparation avant de savoir qu’ils en sont capables.”
Au moment d’embarquer à bord de Turn the Tide on Plastic mardi dernier, j’étais sur le point de mettre un pied de l’autre côté de la barrière dans ce monde que j’admire depuis toujours mais qui n’est pas le mien, afin d’aller expérimenter un fragment de ce qu’est la course au large en équipage.
Excitation, anxiété, curiosité… une multitude de sentiments plus partagés que confus, mais une certaine envie d’en découdre avec tous les a priori et autres mythes entendus et racontés sur les pontons plusieurs mois durant.

Peu après avoir laissé La Haye dans notre sillage, l’un des premiers éléments me faisant déconnecter un peu plus hormis mon téléphone ne captant plus la 3G, fut le fait qu’à bord, on modifiait le temps, du moins l’heure. De 10h00 du matin, le bateau tout entier passait à 08h00 pour se caler sur l’horaire UTC, sur demande de Liz. Aussi mineur que cela puisse paraitre, je trouvais le symbole frappant mais plaisant, d’entrée de jeu.
Quelques heures passent, et le système de quart se met en place. Une grande première, qui semble déroutante au début. De mon côté, le planning de la semaine va ressembler à ça : 04h00 - 08h00, puis 12h00 - 16h00 et 20h00 - 00h00 sur le pont (chouette pour les levers et couchers de soleil) ! Le reste du temps tu te reposes tant bien que mal et restes en stand-by pour les manoeuvres les plus lourdes. Ah oui, tu manges aussi. Au menu : lyophilisé. Je m’attendais à pire, et peux confirmer qu’en 2018, tu peux trouver pire nourriture dans certains restaurants.

L’un des éléments souvent évoqué lorsqu’on aborde le sujet d’un bateau de course concerne la navigation de nuit. Cliché certes, mais je vous l’assure, il faut le vivre pour le croire. Une multitude de chiffres et indicateurs variant à chaque mouvement du bateau nous indiquent le chemin, le reste se fait au feeling. À la barre ou sur le pont, le sentiment est très intriguant, mais étonnamment plaisant, zesté d’une légère dose d’incertitude permanente…
On y arrive, première nuit à bord dans une bannette à la structure carbon. Ça bouge, je sens la coque vibrer à chacun des impacts, c’est bruyant, très bruyant. Le corps ne fait qu’un avec le bateau, et on finit par se laisser bercer, avant de tomber dans un sommeil quasi instantané. 03h45, il est temps d’émerger et rapidement pour aller prendre mon quart. Surpris d’avoir dormi d’une traite, chanceux qu’aucune manoeuvre n’ait eu lieu, j’enfile ma salopette et mon ciré, et ainsi ira la vie pendant les 4 prochains jours…
Côté hygiène, pas grand chose à ajouter. Une brosse à dents et quelques lingettes pour bébé. Le reste, si vous vous le demandiez… ça s’est passé à l’arrière du bateau. L’intimité va de pair, il n’y en a quasiment pas. Finalement, c’est comme vivre en coloc à 10 dans un 25 mètres carré penché, avec toit-terrasse venté et mouillé à l’occasion.
Pour un terrien lambda, le changement est brutal. Mais comme mentionné plus haut, tout cela n’est qu’un fragment de la réalité des marins de la Volvo Ocean Race. Le mode convoyage étant évidemment bien moins intense. Aucun(e) pression, décision clé, concurrent… les changements de voiles sont bien présents mais moins fréquents, et à chaque virement ou empannage, le matossage se réduit au strict minimum. Ce qui n’est pas pour me déplaire pour être franc, me sentant physiquement incapable de coopérer avec l’ampleur de la tâche à laquelle les marins font face pendant la course. A la moindre manoeuvre, ils déplacent alors plusieurs centaines de kilos de voiles, nourriture et toute autre source de poids, d’un côté à l’autre du bateau. Quand on sait que certains équipages ont enchaîné jusqu’à 23 empannages en 24 heures…

Dans les moments creux, ça arrive, on peut toujours compter sur Liz pour faire l’animation.
Finalement, même au milieu de l’Océan, une certaine routine ne tarde pas à s’installer. Mais la surprise n’est jamais bien loin, comme lorsque les premiers dauphins font leur apparition dans le sillage de notre 65 pieds. C’est à qui sautera le plus haut, ou nous suivra le plus longtemps ! Puis la routine revient, avant que l’on aperçoive quelques tâches grisâtres sur l’horizon. Et c’est au travers des jumelles que je distingue une baleine ! Nous sommes à une cinquantaine de milles de la pointe Nord-Ouest de l’Espagne, cernés par une vingtaine de cétacés ! 20 minutes plus tôt, je me demandais pourquoi j’étais là…
J’imagine que c’est aussi ça la vie d’un marin de la Volvo Ocean Race. Non pas d’admirer les baleines aux jumelles - quoique ça doit arriver - mais bien de questionner sa présence sur une coque de carbon flottante.

Cinq jours de navigation entre La Haye et Lisbonne seraient une goutte d’eau pour n’importe lequel des 96 hommes ou femmes qui prenaient part à la dernière édition de la course. Ils ont été suffisants pour me faire réaliser que tous sans exception sont des personnes extra-ordinaires. Il en est d’ailleurs de même pour les onboard reporters !
Et que dire de Nabil Amra, concurrent de la Golden Globe Race, que l’on dépassait à quelques milles du Cap Finisterre, sur son Liberty II d’une dizaine de mètres. Lui navigue autour du monde en solo, à l’ancienne et mettra entre 250 et 300 jours à réaliser son rêve…
Cette fois ci c’est une claque, qui me rappelle un peu plus la séparation entre nos deux mondes.
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