La joie des empannages
"La sentence, la punition, cet enchainement de mots que tout le monde redoute à bord depuis quelque temps..."Martin Keruzoré, reporter embarqué sur Dongfeng Race Team pour cette troisième étape nous offre un très bel aperçu de l'intensité qui règne à bord du bateau !

" Guys we are jibing! "
La sentence, la punition, cet enchainement de mots que tout le monde redoute à bord depuis quelque temps. De jour comme de nuit, cette courte phrase est criée avec force et conviction, rythmée par son french accent, et a pour très mauvaise habitude de sortir de la bouche de notre Pascal toutes les deux heures en moyenne et cela depuis plus de 48h. Je vous laisse un petit temps pour faire le calcul mais oui ça en fait des putains de jibes.
Mais pourquoi s'infliger cela ? Il doit y avoir une raison à en observer notre navigateur se ronger les ongles à longueur de temps, les yeux rivés sur son écran à déchiffrer une espèce de carte multicolore, scindée en deux par une petite ligne horizontale. Ce ridicule trait est pourtant la source de toutes nos souffrances, c'est la porte des glaces, une zone d'exclusion instaurée par le comité de course pour nous empêcher de naviguer plus au Sud au risque de se cogner un glaçon. Pourquoi vouloir aller au sud vous allez me demander, dans le froid et la grisaille ? Non ce n'est pas parce que la Bretagne au mois de Décembre nous manque mais plutôt parce qu’au Sud il y a plus de vent donc on peut aller plus vite. Donc ‘we are jibing’ toutes les deux heures pour rester au plus prêt de cette ligne fictive pour avoir le plus de vent possible et ainsi rallier le pays des Kangourou le plus vite et avant Noël je l’espère.
Cette longue et pénible procédure du jibe entraîne une multitude de taches orchestrées par Charles et Pascal pour ensuite être exécutées par tout l'équipage. 7 marins sur le pont s'occupent de préparer la manoeuvre et déplacer d'un côté à l'autre les voiles inutilisées, on appelle cela le stacking (matossage). Que 2 équipiers restant ? Ils restent au chaud à l’intérieur mais ont eux aussi de quoi bien s'occuper. Les 10 sacs de nourriture, affaires personnelles et autres caisses à outils ne se déplacent pas tous seules comme dans le célèbre film Mary Poppins, ça serait trop beau.
On observe alors différentes techniques pour matosser ce qui se trouve à l’intérieur. Au début, tout est calme, ordonné, bien rangé, de vrais joueurs de Tetris nos marins. Au bout d'une dizaine de manoeuvres de ce style, la fatigue et les nerfs se font sentir, surtout si tu étais dans les bras de Morphée ou en train de déguster un bon chicken massala. C'est alors que les sacs les plus légers se sont vus pousser des ailes et traversent littéralement la largeur du bateau sans toucher le sol. La partie de Tetris initiale se transforme alors en un enchevêtrement de sacs en tous genres, on retrouve au fond du bateau le sac de nourriture 7 couplé avec le sac de spare d’électronique.
Toute cette tortueuse procédure du stacking 'pré-jibe' peut prendre jusqu'à plusieurs dizaines de minutes en fonction des conditions de mer et de vent, mais une chose est sûre, ce n'est jamais une partie de plaisir et on est loin d’en avoir fini. Bon je vous laisse je vois Pascal qui commence à chauffer sur le bureau d'à coté, je vais commencer à plier mes affaires en prevision si jamais......"Guys we are jibing! "
...Bonne soirée
Martin